Dans Libération, mercredi 26 septembre 2007,
«Control» Le crépuscule de l'idole
L'écorché rock Ian Curtis, leader de Joy Division et figure funèbre toujours fascinante, reprend vie dans le premier film du photographe star Anton Corbijn.
Par Didier PERON.
Ce crépuscule des demi-dieux cold et new-wave nous transporte par-delà les ténèbres dans un passé déjà lointain, où la musique était encore une affaire de passion viscérale, non des fichiers échangés sur Internet. Car c'est peut-être ce que le film a de plus frappant, la reconstitution d'un monde étroit où un album d'Iggy Pop représentait la seule bouée à laquelle il était souhaitable de s'agripper (pour couler à pic). Un monde où la solitude était encore un sentiment concret. On écoutait seul Joy dans sa chambre parce que les autres mecs du lycée étaient des beaufs infâmes et qu'ils aimaient Hubert-Félix Thiéfaine. On pouvait écouter cette musique comme l'émanation exacte de cet isolement calamiteux qui a disparu avec l'arrivée du réseau mondial. Un groupe comme Joy, une figure comme Curtis, a-t-elle un sens à l'ère de MySpace ? Les gravats synthétiques, la voix d'outre-tombe, la geôle psychique perpétuelle d'hier a cédé la place à une euphorique société des internautes, fondée sur le partage MP3 et les regroupements par communautés de goûts. La pesanteur de l'origine géographique et du confinement social a, au moins virtuellement, été abolie. Control nous fait toucher du doigt cette mutation hallucinante, et comme le sort du chanteur n'est guère enviable, macchabée de 23 ans accroché au bout d'une corde, le film n'incite pas particulièrement à la nostalgie. Mais il ouvre une voie vers l'énigme du temps perdu et sera probablement, pour de nombreux spectateurs contemporains de cette histoire, ados dans les années 80, une pierre de touche pour trébucher stoïquement dans la vieillesse .
«Control» Le crépuscule de l'idole
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